Virginie Noar : « Légitimer des émotions qu’on a tendance à penser honteuses »
Avec son deuxième roman « La nuit infinie des mères » (éditions François Bourin), Virginie Noar aborde une nouvelle fois la thématique de la maternité, en explorant l’ambivalence et les représentations sociales qui peuvent faire tant de mal aux mères.
Ton premier roman abordait déjà le thème de la maternité : c’est important pour toi d’écrire sur ce sujet ? Pourquoi ?
» Ça me paraît important oui, parce que la maternité est le lieu où se fonde et se formalise un certain nombre d’attendus autour de la condition féminine. De l’appropriation des corps parturients à leur assignation domestique, éducative, soignante, il y a quelque chose de l’identité sociale qui me semble venir s’instituer à cet endroit-là. Je n’écrirai pas toujours sur ces sujets mais ces deux romans-là étaient vraiment importants pour moi, avec ce modeste espoir de participer à une certaine visibilisation de la condition maternelle. »
Pourquoi, cette fois, avoir choisi l’angle de la solitude d’une mère ?
« Je crois que je voulais questionner cette idée selon laquelle les mères sont pensées naturellement capables. En devenant mère et en réalisant ce que ça pouvait revêtir comme responsabilités, fatigue, tiraillements, je ne comprenais pas comment faisaient toutes ces femmes à qui incombent la garde exclusive ou majoritaire de leur(s) enfant(s) pour parvenir à tout gérer, tout concilier, respirer. Je me demandais comment on avait pu penser une seule seconde que cela était possible, et même acceptable. Comment ces mères avaient pu tenir autant de temps sans « se lever et se barrer ».
Aussi, il me semblait intéressant de regarder la maternité sous différents angles. Entre Le corps d’après qui abordait le « devenir mère » et La nuit infinie des mères qui traite davantage de « l’être mère », je voulais tenter d’approcher ce continuum de conditionnements qui s’inscrit dans les corps jusqu’à les définir, et parfois (souvent) les enfermer. »
On ressent également l’ambivalence de la maternité : les beaux moments et les plus difficiles. Ce sont des émotions que tu ressens aussi, en tant que maman ?
« On trouve de l’ambivalence partout et comme beaucoup de femmes ou de parents, c’est quelque chose que je peux ressentir. Ce qui vient motiver l’écriture de ce roman, c’est justement le désir de défaire ces poncifs qui nous enferment dès lors que nous devenons parent, et mère en particulier : raconter, en même temps que l’extrême bonheur que peut procurer le fait de voir grandir un enfant, la laideur possible, fulgurante et passagère parfois, durable d’autres fois.
Dire quelque chose qu’on a tendance à reléguer à l’intime, c’est le rendre moins abrupt, plus en prise à des réalités collectives, aussi. Dire qu’on peut aimer être mère et vouloir parfois s’en enfuir, c’est peut-être – j’espère – légitimer des émotions qu’on a tendance à penser honteuses et qu’on voudrait souvent faire taire. La question du « regret d’être mère » est à ce sujet exemplaire ; on touche ici à un tabou très fort, qui remet tellement en question la supposée vocation reproductive des femmes que son évocation en est insupportable. »
Tu parles aussi de cette « mère idéale » qu’on imagine avant de le devenir à son tour. Tu trouves que les injonctions jouent un rôle important ?
« Oui, il me semble que comme pour tous les autres aspects de nos vies, nous grandissons dans un monde qui énonce dès le plus jeune âge ce que doivent être les femmes, les hommes, les mères, les pères. Partout, les figures s’érigent et nous figent ; dans les livres, les films, les dessins animés, les paroles des professionnel.le.s de l’enfance, les familles, partout il nous est dit que les femmes doivent être mères et revêtir les caractéristiques censément reliées à ce statut : tendresse, dévotion inconditionnelle, responsabilité, éducation… avec cette idée que l’entrée dans la maternité signe la mort de la femme, de la personne même. C’est, me semble-t-il, ce qui transparaissait un peu dans Le corps d’après, autour de la question de la sexualité ; comment le corps maternel annule le corps sexuel, comment l’un ne peut se penser avec l’autre (l’éternelle histoire de la mère et de la putain). Ces deux figures sont en l’occurrence toujours construites à partir d’injonctions au service du patriarcat.
En réalité, les injonctions sont partout. Elles sont là au berceau et nous suivent jusqu’à ce moment où nos corps devenus invisibles, ni productifs ni reproductifs, disparaissent dans l’indifférence ou le mépris parce que l’on devient vieille. La maternité n’est en réalité qu’un maillon constitutif d’un système normatif bien plus vaste ; heureusement, les maillons, on peut les faire sauter… »
Qu’est-ce qui t’inspire pour écrire ?
« Ce n’est pas très compliqué, tout m’inspire. Tout ce qui est vécu provoque chez moi le réflexe d’écriture (et l’écriture de tant de romans inachevés !). Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux écrit cette phrase : « c’est l’absence de sens de ce que l’on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités d’écriture ». Il n’y a rien ici qu’elle n’ait déjà dit mais cette phrase me touche profondément et, depuis que je l’ai lu, me poursuit et m’obsède beaucoup. Ce qui me fait écrire en définitive, ce sont peut-être les évidences ; une forme de sensibilité ou d’observation alerte qui me fait vivre les évidences les plus anodines comme d’infimes bouleversements. »
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