Des clés pour aborder la rentrée sereinement après un congé maternité ou parental
Entretien avec Agathe Perrichon, psychologue clinicienne spécialisée en périnatalité
Sophie : La séparation au moment de la reprise du travail après le congé maternité/parental, est-elle forcément douloureuse (que ce soit pour les parents ou le bébé) ?
Agathe Perrichon : Non pas forcément, c’est loin d’être une fatalité et heureusement !
Il n’en reste pas moins que la séparation est une étape importante et qu’il est normal de ressentir un peu d’appréhension. Vous étiez une des seules personnes avec le père à prendre soin de bébé et il va falloir faire confiance à un tiers étranger au système familial !
Cette situation peut être douloureuse car elle demande un réajustement entre 2 de vos identités. L’identité de mère que vous venez tout juste d’acquérir et votre identité professionnelle ( celle qui induit potentiellement la séparation)
Sophie : Comment peut-on réduire l’appréhension ?
Agathe Perrichon : Se séparer est une épreuve qui fait grandir mais qui aussi peut faire peur. Afin de réduire l’appréhension, il est conseillé d’anticiper et préparer cette période sensible.
L’expérience de la séparation demande un apprivoisement, non seulement du côté de bébé, mais aussi du côté de la maman. La période d’adaptation proposée par tout mode de garde est donc essentielle afin de réduire l’appréhension (s’il y en a, car ce n’est pas systématique)
Ce sera ainsi l’occasion du côté de la maman de transmettre les habitudes de bébé, d’établir un lien de confiance avec la personne qui va garder bébé, et de poser toutes les questions qui pourront lui permettre de se rassurer.
Du côté de votre bébé, l’enjeu est grand ! Il s’agit de créer un nouveau lien avec une personne extérieure à la famille. C’est pour lui l’occasion d’explorer des nouvelles relations et d’avoir un vis-à-vis avec d’autres enfants du même âge.
Sophie : Comment le bébé va-t-il vivre cette séparation ?
Agathe Perrichon : Le bébé va vivre cette séparation en miroir du ressenti de la maman. Si la mère est elle-même très angoissée par cette séparation, bébé le sera aussi ! C’est pourquoi il est important de se faire aider dans cette étape si la séparation est douloureuse, si l’intensité de celle-ci ne fait qu’augmenter, et si elle s’inscrit dans la durée.
La séparation avec son bébé peut être vécue par la maman comme une résurgence de son propre attachement, ou d’expérience d’abandon, de perte. Il est important dans ces moments-là d’aller chercher de l’aide.
Sophie : pourquoi les jeunes mères rencontrent souvent un sentiment de culpabilité de laisser leur bébé ? Les pères sont-ils soumis à ce même sentiment ?
Agathe Perrichon : Cette culpabilité qu’ont les mères à laisser leurs bébés est à mon sens vieille comme le monde.
Nous sommes porteurs de l’histoire avec un grand H et des représentations maternelles judéo-chrétienne empreintes de culpabilité. J’aime à raconter l’histoire du jugement de Salomon :
« Deux femmes ayant accouché le même jour et au même lieu, l’un des enfants meurt sur le sein de sa mère. Les deux femmes vont alors prétendre à la maternité du seul enfant ayant survécu.
Celle-ci dit : voici mon fils qui est vivant c’est ton fils qui est mort !
L’autre répond ce n’est pas vrai ton fils est celui qui est mort le mien est vivant.
Le roi Salomon ne pouvant alors faire témoigner l’enfant demande qu’on lui apporte une épée et dit : partagez l’enfant en deux et donnez la moitié à l’une et la moitié à l’autre.
Alors la femme dont le fils était vivant s’adresse au roi et répond : Monseigneur pitié ne le tuez pas, je préfère renoncer à l’enfant.
L’autre femme dit alors : Il ne sera ni à toi ni à moi il sera partagé.
Alors le roi prit la parole et dit : Donnez l’enfant à la première, c’est elle la mère. »
Cette histoire vient illustrer à quel point la mère doit faire preuve d’une forme de renoncement de soi pour prouver qu’elle est bien mère. C’est fort non ?
Le message implicite mais bien présent est « pour être mère il faut être celle qui renonce à tout ».
Quoi de plus normal que d’être acculé par cette culpabilité à laisser bébé, de culpabiliser de trouver une forme d’équilibre et de joie quand le discours collectif est encore symboliquement celui-là. Et pourtant… ne dit-on pas Happy mummy Happy baby ?
En ce qui concerne le père, les attentes sociétales ne sont pas les mêmes.
Dans un couple (qu’il soit homosexuel ou non) Il y a toujours, et c’est souhaitable, une personne ayant le rôle du « ici maintenant » représentant le pôle maternel et une autre personne (le père ou le la conjoint(e) ) représentant le « ailleurs plus tard ».
Ainsi la mère permet d’installer les bases d’une sécurité sur un mode relationnel très proche dont le bébé a besoin.
Et le père (ou l’autre partenaire) donne au bébé, dans sa relation avec lui, dans son non verbal, une possibilité d’ouverture vers un monde plus grand que simplement cette dyade mère-enfant.
Le père est donc garant de ce « ailleurs plus tard » permettant à l’enfant de se projeter dans un futur possible quand celui-ci sera prêt
Le sentiment de culpabilité quant au fait de laisser bébé dans cet « ailleurs plus tard » que peut déjà représenter la crèche est donc moins présent chez le père, ce qui ne veut pas dire que tout est facile pour lui !
Sophie : Est-ce que c’est important de parler à son bébé, même s’il est tout petit pour lui expliquer ? Pourquoi ? Est-ce qu’il va comprendre ?
Agathe Perrichon : Oui c’est important ! Il faut parler à bébé qu’importe son âge, même s’il ne saisit pas forcément le sens des mots, il comprend très bien notre intonation, et notre attitude globale.
Pouvoir transmettre à son bébé la joie de retourner au travail, qu’il découvre un « ailleurs plus tard » pour mieux se retrouver le soir est important.
Cela permet non seulement à la séparation d’être plus douce, mais aussi de rendre palpable pour la maman cette séparation et de se projeter dans un scénario serein.
Sophie : Que faire concrètement le Jour-J ? Y-a-t-il des erreurs à éviter ?
Agathe Perrichon : Comme dit plus haut, verbaliser que c’est le jour J par des phrases simples en stipulant que l’on revient le soir.
Laisser à disposition de bébé un doudou (objet de transition entre chez vous et le lieu de garde) avec votre odeur. Ce doudou pourra permettre un sentiment de continuité et de sécurité.
Les erreurs à éviter :
- Ne rien dire à bébé et le laisser à la crèche sans explication
- Partir du lieu de garde sans que bébé vous ai vu partir, cela induit le fait que vous pouvez disparaître à tout moment sans prévenir. Donc on dit au revoir à bébé et on lui dit qu’on revient le soir le chercher.
- Revenir dans le lieu de garde tout de suite après être parti, laissant bébé croire que vous êtes derrière la porte à tout moment.
- Attendre de la personne qui garde votre enfant qu’elle fasse exactement comme vous, il y aura forcément des différences qui permettront à votre bébé d’expérimenter autre chose !
Sophie : Est-il possible que bébé boude quand nous retournons le chercher ? Si oui, comment gérer cette situation ?
Agathe Perrichon : Parfois bébé peut bouder cela veut dire 2 choses :
C’est une manière pour lui de vous signifier que vous avez de l’importance et que vous êtes son attachement sécure. Ce qui est plutôt rassurant
La versant moins cool c’est quand bébé pleure en vous voyant arriver, ou ne veut plus quitter la personne qui le garde.
Le maître mot ici c’est ne pas se vexer ! Exprimez le fait que vous êtes contente de le retrouver et qu’il vous a manqué. Accueillez sa colère ou sa tristesse, ces émotions sont tout aussi légitime que toutes les autres.